Au cours des dernières décennies, la Silicon Valley a vu naître les grands géants de la tech – Google, Apple, Facebook – mais aussi les start-up les plus prometteuses, comme Uber et Airbnb pour ne citer qu'elles. Région la plus fertile du monde pour l'innovation et la création d'entreprise, son efficacité suscite autant d'interrogations que de fantasmes.
À l'heure où la France s'oriente vers des transformations favorables à l'entrepreneuriat, le Centre pour l'entrepreneuriat de Sciences po a emmené une quinzaine d'étudiants à San Francisco, afin de mieux comprendre les facteurs clés de l'écosystème local.
Si un enseignement devait ressortir des rencontres menées dans le cadre de cette learning expedition, c'est peut-être celui consistant à considérer les salariés non pas comme un simple ensemble d'individus, mais une communauté d'entrepreneurs prêts à relever sans cesse de nouveaux défis. On parle ici de "talents". Et pour cause, les deux universités prestigieuses de Stanford et Berkeley irriguent la Silicon Valley en diplômés. Quand les uns sont recrutés à prix d'or par les grandes entreprises, d'autres se lancent dans l'aventure entrepreneuriale.
Ce dynamisme s'explique en grande partie par la capacité de ces deux établissements d'enseignement supérieur à concentrer ressources et compétences au sein de structures uniques. Pour Mark Coopersmith, enseignant responsable du module d'entrepreneuriat à Berkeley, la rencontre permanente des différents corps d'étude (ingénieurs, commerce, sciences sociales...) permet de constituer autour de chaque projet d'innovation des équipes capables de surmonter les obstacles inhérents à la création d'entreprise (développer l'idée, concevoir le produit, trouver les investisseurs...). "En France la qualité de la formation est excellente, mais les étudiants sont séparés dans des écoles et des campus différents selon leur spécialité", juge-t-il.
Mais le choc pluridisciplinaire n'est pas la seule source de diversité : il faut également compter sur le facteur culturel. En occupant les premières places des classements internationaux, Stanford et Berkeley attirent les meilleurs étudiants du monde. Un quart environ des étudiants y sont d'origine étrangère, un chiffre qui rejoint ceux des grandes écoles françaises.
Néanmoins, un entrepreneur français à Berkeley tient à nuancer cette comparaison : contrairement à la France, "il existe, sur place, une intégration sociale et culturelle telle que les étudiants étrangers sont amenés à rester dans la Silicon Valley après leurs études, permettant ainsi à la région de conserver les talents qu'elle forme."
La qualité de la formation repose, elle, sur la richesse – au sens propre – de ces universités. À ce propos, Pierre Letoublon, de Parisoma, un accélérateur de start-up du groupe Fabernovel implanté à San Francisco, revient sur une différence fondamentale entre les modèles de financement universitaire français et américain : "Aux États-Unis, les universités conservent la propriété intellectuelle des recherches qu'elles mènent bien qu'elles soient financées par l'État et plus précisément par l'armée qui reste un investisseur majeur dans toute la région."
Ainsi, chaque utilisation commerciale de travaux de recherche engendre des revenus pour les universités. Ce modèle a aussi pour conséquence d'inclure dans toute recherche une dimension "business".
D'ailleurs, certains incubateurs comme le Citris Foundry à Berkeley sont exclusivement destinés à des start-up travaillant sur la "deep technology", au plus proche de la recherche fondamentale. Le PhD (équivalent du doctorat en France) ne cloisonne pas les étudiants dans la perspective d'une carrière académique et incite les plus talentueux à emprunter cette voie, valorisant du même fait la recherche dans son ensemble. Des entreprises comme Facebook ou Google vont même jusqu'à participer, en amont, au financement des universités avant de recruter massivement les diplômés.
Pour Laurent El Ghaoui, chercheur-entrepreneur français à Berkeley, les start-up peinent à recruter, incapables de rivaliser avec les offres des grands groupes. Si la recherche est complètement intégrée au paysage économique de la Silicon Valley, elle s'envisage aussi dans une optique de rentabilité et d'application commerciale, et est, finalement, moins la responsabilité de l'État qu'une source d'innovation pour les entreprises.
Investissements : le goût du risque
Hormis les talents, l'autre ingrédient moteur de la Silicon Valley que nous avons déjà évoqué est naturellement le capital. La présence massive d'investisseurs, doublée d'une approche de l'investissement moins rétive au risque, permet aux jeunes pousses de lever des sommes importantes rapidement.